Analyse Octobre 2019
La guerre des monnaies, une fausse bonne idée
Toujours d’actualité, la « guerre des monnaies » est un instrument que les nations utilisent pour rester compétitives. Pratique à première vue, ce dernier leur permet d’exporter la récession ou le ralentissement de leur économie. Toutefois, c’est une fausse bonne idée, car ce type de guerre n’avantage finalement personne.
L’arme monétaire a souvent été utilisée lors des crises du capitalisme qui se sont succédées du XIX siècle à nos jours. La monnaie est en effet le principal levier d’insertion dans les échanges mondiaux. Elle implique tous les acteurs économiques, influençant aussi bien la consommation que l’épargne et l’investissement.
Dans ce jeu de force, la dévaluation est l’outil le plus prisé. Le bon sens laisse à penser qu’une monnaie faible est le bon choix en matière de commerce extérieur. Selon ce raisonnement, le taux de change, en se dépréciant, servira de levier pour doper les exportations et réduire les importations. La dévaluation rend les produits fabriqués localement moins chers pour les acheteurs étrangers et les exportations deviennent plus compétitives. Conséquence de la perte d’attrait des produits étrangers devenus plus onéreux, la balance commerciale pourrait même s’équilibrer.
L’histoire ne manque pas d’exemples de dévaluations. Au sortir de la crise de 1929, la Grande-Bretagne avait suspendu la convertibilité-or de la livre sterling et dévalué sa devise de 40%. Une vingtaine de pays suivirent le mouvement. Depuis les années 70 et la fin de l’étalon-or, les épisodes de dévaluation se sont multipliés. Soucieux de promouvoir leurs exportations et de stimuler l’emploi, les Etats-Unis ont toujours été très actifs sur ce front. L’effondrement du système de Bretton Woods en 1971 a donné de facto au dollar le statut de monnaie d’échange et de réserve. Les Etats-Unis pouvaient ainsi acheter des biens à l’étranger en imprimant des dollars et en émettant de la dette. Ils ne sont pas les seuls à jouer sur ce registre. La Chine n’hésite pas, quand c’est nécessaire, à dévaluer le yuan pour voler de la croissance à ses partenaires commerciaux.
Un mécanisme plus subtil qu’il n’y paraît
Ceci dit, si le recours à la dévaluation était une bonne méthode, le Japon aurait une économie florissante et la Banque d’Angleterre, qui a vu s’effondrer sa monnaie en raison du Brexit, ne craindrait pas une récession. La relation entre le taux de change et le commerce extérieur est plus subtile qu’il n’y paraît. Une monnaie faible induit deux effets principaux sur les prix relatifs et les volumes. Elle induit une certaine inertie des comportements, incitant, par exemple, les entreprises à profiter de la situation pour augmenter leurs marges, et la stratégie peut s’avérer vaine lorsque les partenaires commerciaux optent pour une riposte. A noter aussi que les pays fortement endettés à l’extérieur voient leurs charges d’intérêts augmenter, et, qu’à plus long terme, la dépréciation durable entame la crédibilité de la devise et la confiance dans un monde où les capitaux sont mobiles.
Enfin, il faut aussi savoir que les effets favorables d’une dévaluation sont généralement transitoires. L’impact positif se résorbe notamment via une augmentation du niveau des prix (une entrée nette de devises entraîne un accroissement de la masse monétaire) et la méthode génère plus d’inflation. Le Brésil en a fait l’expérience. En 2010, il a réagi à l’effondrement des exportations en affaiblissant le real. Certes, son déficit commercial avec les Etats-Unis s'est stabilisé, mais la hausse des prix a affaibli les classes sociales les plus défavorisées.
Une monnaie forte a aussi des avantages
Une monnaie forte n’a cependant pas que des désavantages. Elle incite les entreprises à utiliser leurs ressources pour améliorer l’innovation et la productivité, donc leur compétitivité. Les entrepreneurs suisses ne sont-ils pas condamnés à l’excellence pour contrer l’appréciation historique du franc suisse? Autre facteur qui parle pour une monnaie forte : pour les produits non-standardisés, la qualité et la durabilité, le service après-vente sont des critères souvent plus décisifs que le prix de vente.
En 1078, le stratège chinois Sun Tzu écrivit dans son ouvrage « L’Art de la guerre » : « Jamais guerre prolongée ne profita à aucun pays ». Cette citation s’applique parfaitement aux guerres des monnaies. Comme tous les pays ne peuvent pas dévaluer leur devise en même temps, ce type de conflit ne bénéficie finalement à personne, par contre, il exacerbe les incertitudes économiques et les tensions politiques.
Fig. 1. Evolution du dollar et déficit commercial américain en % du PIB
Source : Federal Reserve of St Louis
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